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Nous avons reçu le soutien de Jean Chalendas, auteur du livre

"Le maire qui aimait les arbres". Nous avions nommé l'un des marronniers de la Place en son hommage. Il a eu la gentillesse d'écrire ce magnifique texte

C’est une bien pauvre idée que de penser qu’abattre des arbres pourrait mettre en valeur l’architecture, si l’on ne parle pas ici des figuiers qui disloquent les temples d’Angkor.


Il n’est de si beau bâtiment que celui qui se devine sous les frondaisons.


Il s’agit bien là de la vulgarité de notre époque qui veut prendre la main du béotien pour le guider vers la beauté évidente, plutôt que de lui faire entr’apercevoir, renifler, deviner.


C’est la perception d’un marchand de cartes postales, qui veut avoir quelque chose à vendre, en toute saison, sans effort, sans subtilité.


C’est ici que divorcent les tenants de l’esthétique de la pierre, et les partisans de l’art de vivre ; ici commence le règne de l’arête sans sourire, la sécheresse de la ligne sans la Nature, et par là sans l’humain.


Dégager les perspectives monumentales, cela peut s’entendre quand il s’agit de raser un édicule de béton, de repousser un stationnement de voitures, d’interdire ce qui pourrait parasiter notre perception de la beauté d’un édifice par la pauvreté d’une matière, par la dissonance d’une ligne.


Comment pourrait-ce s’appliquer à des êtres vivants, nos compagnons de toujours, qui bordaient nos champs, ombrageaient nos routes ?


Faudra-t-il imaginer d’en bannir ensuite humains et animaux, pour n’avoir pas été intégrés dans le dessin originel de l’architecte ?


À ceux qui pensent qu’ils ne peuvent jouir de la perspective que si l’on la débarrasse des branches et des feuilles qui en brouillent l’ordonnancement, suggérons-leur (puisqu’il semble qu’ils n’y aient pas songé…) de revenir l’hiver prochain, quand les marronniers auront perdu leurs si belles feuilles, qui furent source profonde d’inspiration des motifs décoratifs de l’Art Nouveau.


À toute beauté créée par les hommes, il est utile mais parfois cruel de confronter celle, immuable, de la Nature.


Est-ce cette insolence de la comparaison qu’on voudrait là abolir ?


L’architecture doit tout à la Nature, les forêts furent nos premiers temples, ce sont les troncs qui inspirèrent nos colonnes, les branchages qui devinrent les rinceaux qui ornent nos entablements. Serions-nous devenus si oublieux, si ingrats, que nous voudrions effacer le souvenir de cette hérédité ?


Laissons la Beauté à ceux, cultivés, observateurs, ou simplement curieux, qui la méritent ; nos villes anciennes n’ont pas – du moins l’espérais-je – à faire concurrence aux parcs d’attraction.


Enfin, ne devrions-nous pas nous méfier quand on nous propose de troquer le chœur austère d’un alignement qui fournit à nos étés une ombre complice, délicieuse, pour le verbiage d’un jardin bavard, tenant tout à la fois de l’arborétum et de la composition décorative ?

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Jean Chalendas

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Juillet 2018.

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